« Je me suis retrouvée dans ce village, avec tous ces gens qui hurlaient, qui tombaient, qui courraient et laissaient les cadavres derrière eux... Il n’y avait pas un journaliste. J’étais là, toute seule. Par hasard, j’avais cette petite caméra. J’ai alors filmé tant que j’ai pu. Je ne savais pas pourquoi je le faisais. C’était un cri de l’âme. » Onze ans ont passé et Zainap Gashaeva risque toujours sa vie à filmer... tout ce qu’elle peut : massacres, tortures, assassinats... Peu importe qui les perpètre : l’armée russe ou les extrémistes tchétchènes. Mais aujourd’hui, Zainap n’est plus seule à collecter les images. Beaucoup de ses compatriotes tchétchènes ont rejoint son ONG dénommée "Echos de la guerre."

Dans un film poignant "Coca, la colombe de Tchétchénie," le réalisateur suisse Eric Bergkraut suit Zainap et les siens dans leur folle collecte de vidéos. Des centaines de cassettes qu’ils emmurent, enterrent, trimbalent dans des sacs poubelles pour pouvoir les sortir à l’étranger. Ils recherchent, classifient, les milliers de noms, de photos, d’enregistrements des victimes et des bourreaux : « Comme ça, tout sera prêt pour un futur Tribunal international », explique-t-elle.

Espoir fou : quand viendra la justice...

Un espoir fou que nourrissent les civils tchétchènes : que les atrocités de cette guerre silencieuse apparaissent au grand jour. Quand ? Ils n’en savent rien. « Un jour forcément », lance Zainap, venue à Genève pour la projection du film. Pourtant, les victimes de cette guerre, qui se déroule dans un silence effrayant, n’ont trouvé aucun soutien au Conseil de l’Europe. Comment osent-ils espérer que leur cas puisse être porté devant une justice internationale ? « Un jour, le monde reconnaîtra ces crimes cachés, rétorque-t-elle avec passion. Le contraire est impossible ! Si je n’en étais pas convaincue, je ne ferais rien de tout ça ! »

En fait, sans le savoir, Zainab et son ONG participent à une nouvelle forme de lutte pour les droits de l’homme : la collecte instantanée des preuves et des données, lorsque le crime est commis. « Il y a déjà eu dans le passé des initiatives du genre », explique Eric Sottas, directeur de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

« Pendant la dictature argentine, les grands-mères de la Place de Mai ont stocké les fameuses banques de sang pour pouvoir retrouver par la suite leurs petits-enfants. Mais il y a une nouvelle donne depuis l’existence des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La notion de compétence universelle (qui aux Britanniques d’arrêter Augusto Pinochet) progresse. »

Sottas ajoute : « Les victimes se disent que, si aujourd’hui, rien n’est possible, demain l’impunité sera dénoncée. Et ils agissent dans ce sens. Des mouvements se créent en Colombie, en Afrique aussi. L’an dernier, à Goma (RDC), de petites agences ont demandé des formations sur l’archivage des données. Aujourd’hui, partout dans le monde, les défenseurs des libertés ont compris qu’ils doivent se professionnaliser pour bien utiliser les procédures nationales et internationales. »

FIDH