Alexis Adele, Abidjan / InfoSud - Dès le lever du jour, Adama Camara, 20 ans, rejoint sa bande à la gare routière d’Abobo, un quartier populaire d’Abidjan, pour mendier quelques francs CFA auprès des voyageurs. Une activité en apparence banale, mais qui cache d’autres desseins.

« Il y a quatre ans, ce passe-temps lucratif nous suffisait pour vivre, reconnait-il au milieu du brouhaha de la gare qui grouille sans cesse de monde. Mais aujourd’hui, faire la quête (sic) nous permet surtout de repérer nos proies et d’échafauder des plans pour les dépouiller de leur argent plus tard, selon nos besoins. Et il ne faut pas nous résister, car nous ôtons facilement la vie. »

Issu du sous-quartier d’Abobo Derrière-Rails, réputé pour être l’un des nids de la pègre abidjanaise, Camara est toujours accompagné par deux membres de son gang, dont les pistolets sont à peine dissimulés dans le pantalon. Âgés de 10 à 20 ans -un âge censé leur assurer la clémence de la justice- ils se sont baptisés Les Microbes, en référence au film brésilien La Cité de Dieu, qui raconte la vie ultra-violente des gangs d’enfants des favelas de Rio.

Manipulés par des politiciens

« Comme beaucoup d’autres, notre groupe s’est formé pendant la crise de 2010-2011, pour aider à chasser Gbagbo (l’ancien président, actuellement jugé devant la Cour Pénale Internationale, ndlr), affirme sur un ton flegmatique Ali Diomandé, 22 ans, un acolyte de Camara. Pendant les journées villes mortes, on brûlait des pneus. On servait aussi d’éclaireurs à certains miliciens pro Ouattara (le président actuel, ndlr) lors des attaques contre les soldats de Gbagbo ».

« Malheureusement, depuis la fin de la crise, notre sort n’intéresse plus les politiciens, ceux-là même qui nous appelaient à manifester pour eux », regrette-t-il. Les lèvres noircies par la consommation de stupéfiants. il reste pourtant persuadé que son heure viendra : « Maintenant, nous avons choisi notre voie et personne ne nous arrêtera. Les politiciens savent qu’ils auront encore besoin de nous. »

Violence sans limite

Très actifs dans la capitale économique ivoirienne, les Microbes -dont le nombre reste inconnu-, ont déjà fait de nombreuses victimes parmi la population. Et leur violence, qui connait un pic depuis plusieurs mois, ne semble plus avoir de limites. En mai, ils ont même laissé pour mort un responsable religieux d’Abobo.

« Je revenais de la mosquée vers 23 heures quand j’ai été agressé non loin du poste de police, se souvient l’imam Sangaré Yacouba, la victime. J’ai reçu des coups de couteau et de machette, ils m’ont abandonné sur le pavé, gisant dans une mare de sang ».

Un acte qui a provoqué la colère des citadins. « Si l’Etat ne fait rien, nous allons prendre nos responsabilités et rendre justice nous-mêmes », avait alors prévenu, avec véhémence, Honoré Kouamé, un habitant de la commune de Williamsville, autre fief des Microbes.

Désormais traqués par les forces de l’ordre - qui ont arrêté plus de 200 Microbes et tué 4 d’entre eux lors d’une vaste opération en juillet à Abidjan-, les Microbes se sont réorganisés : ils agissent désormais de façon plus sporadique, et ils se sont déployés vers les grandes villes de l’intérieur du pays, comme à Daloa, dans le centre-ouest. Selon la police locale, ils ont déjà commis deux meurtres et des agressions en septembre et en octobre.

“Bombe à retardement”

« Ces enfants ont joué un rôle actif dans la guerre pour le pouvoir qui a déchiré le pays, souligne Serge Alain Gba, analyste politique ivoirien. Mais leur phénomène s’est vraiment enraciné depuis deux ans, sans que les gouvernants n’aient pu l’anticiper ou l’endiguer ».

Cependant, pour Raymond Flan, greffier auprès du tribunal de Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, l’origine et les solutions du problème sont encore plus complexes. « Ce phénomène est né de la dislocation de la cellule familiale pendant la crise post-électorale et du manque de promptitude des pouvoirs publics à y mettre un terme. Pour l’éradiquer, il faut mettre d’abord mettre en place des comités de vigilance et de sensibilisation dans les quartiers à risques, et éviter que leur mouvement ne continue de prendre de l’ampleur. »

Pour de nombreux observateurs, la stratégie de répression absolue, voire violente, de la part du gouvernement, n’est pas adaptée. « Après chaque assaut de la police, les gangs de Microbes se mettent en sommeil, mais c’est pour mieux se renforcer et ressurgir ensuite, remarque Serge Alain Gba. Il est urgent d’y mettre un terme définitif, car ces jeunes sont une bombe à retardement et ils seront à nouveau instrumentalisés selon les besoins lors de la présidentielle de 2015. »