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Le Conseil des droits de l’homme entravé par un manque de recul

Créé en 2006, le Conseil des droits de l’homme était censé palier les failles de sa défunte soeur la Commission. Huit ans plus tard, le nouvel organe, à nouveau accusé de sélectivité et double standard, est noyé dans les urgences et les procédures.

Genève, Carole Vann et Juan Gasparini/InfoSud - Le Conseil des droits de l’homme, inauguré à Genève le 19 juin 2006, peut-il encore être porteur d’espoir ? Ce nouvel organe, né d’un vote massif de l’Assemblée générale des Nations unies - les seuls à s’y opposer ont été les Etats-Unis, Israël et deux îles du Pacifique - a remplacé la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Il était reproché à l’ancien organisme onusien, créé en 1946 et qui tenait chaque année à Genève ses assises durant six semaines, d’être sélectif et d’appliquer un double standard concernant les choix des pays visés par les condamnations et les mécanismes de contrôle.

Le 9 mai 2006, ont donc été élus les 47 premiers membres du Conseil (les nominations sont pour trois ans, renouvelable une fois. Le pays doit ensuite se retirer pour au moins une années avant de se présenter à nouveau). Parmi eux : l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Chine, Cuba, le Nigeria, le Pakistan, la Russie et la Tunisie. Ces pays violaient massivement les libertés fondamentales et rassemblaient à eux seuls 90% des exécutions capitales commises dans le monde en 2005.

Le Conseil à peine sur pied, la machine commençait déjà à grincer : alliances politiques, menaces et chantages entravaient les processus techniques et les discussions de fond. Les pays de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) - 17 parmi les 47 pays élus en 2006 en étaient membres -, appuyés par les Africains et certains pays asiatiques, ainsi que la Russie et Cuba, ont œuvré pour affaiblir l’autonomie du nouvel organe.

Car même s’ils ne se faisaient guère d’illusions sur la portée des décisions du Conseil des droits de l’homme (qui n’ont pas une portée contraignante), beaucoup de pays musulmans percevaient, à travers le nouvel organe, une possibilité de contrer le Conseil de sécurité de l’ONU dans lequel ils considéraient n’avoir pas droit au chapitre.

L’EPU, le nouveau mécanisme

L’EPU (examen périodique universel), instrument phare du nouveau Conseil, est le seul processus onusien obligeant chaque pays (sans exception) à passer en public sous les fourches caudines de ses pairs.
Dans le cadre de cette procédure, l’examen est basé sur trois rapports disponibles avant la comparution : celui établi par l’Etat examiné, un autre fourni par l’ONU (rapporteurs spéciaux et organes de contrôle des traités) et une compilation de réactions d’ONG.

Or l’alliance dominante au Conseil voulait que cet examen ne se base que sur le rapport du pays concerné. Une position contre laquelle la Haut commissaire aux droits de l’homme de l’époque, Louise Arbour, avait ouvertement pris position.
Aujourd’hui, des garde-fous permettent de préserver les approches multiples de l’examen. En revanche, la procédure est diluée dans le temps, ce qui affaiblit son impact. En effet, le pays met plusieurs mois pour répondre aux recommandations de ses pairs – alors qu’auparavant le positionnement avait lieu dans les 72 heures. Résultat, les médias, qui pouvaient suivre à chaud le déroulement des différentes étapes et alerter l’opinion publique, se désintéressent désormais de la question.

Danger plus pernicieux

Traversé par ces rapports de force, le Conseil a pu sauver ses mécanismes les plus importants. Toutefois un danger plus pernicieux guette l’organe : le risque que des thématiques et sujets cruciaux soient anesthésiés par une multiplication de panels, d’interventions dans les débats généraux et d’autres procédures au sein même du Conseil. Trop souvent ces discussions ne débouchant sur aucun suivi.

« La multiplication de résolutions, d’interventions dans les débats et de panels (qui parfois peuvent manquer de substance) exige de plus en plus de temps et amène à une usure, surtout pour les petites et moyennes délégations ou ONGs qui n’ont pas les capacités logistiques de suivre ces questions ou d’y contribuer. C’est d’une part la conséquence d’un enthousiasme débridé et mal réfléchi pour le Conseil et, de l’autre, voulu par les pays réactionnaires pour noyer le poisson et entraver un travail de fond sur les questions importantes », commente Peter Splinter, représentant à l’ONU de Amnesty international.

Une tendance renforcée par le fait que, lors de la session de septembre dernier, le Conseil renouvelait ses Etats membres et accueillait à nouveau en son sein une vague conservatrice : Arabie saoudite, Russie, Chine, Algérie, Cuba, Vietnam, Grande Bretagne (le pays le plus réactionnaire de l’UE), l’Afrique du Sud (qui soutient toutes les dictatures de son continent.)

« Avec les brasiers continuels qui enflamment la planète, poursuit Peter Splinter, les délégations n’ont pas le temps de mener une réelle réflexion. Cela fait du Conseil un organe sur la brèche permanente, sans suffisamment de recul ni vision du futur. Or le monde a besoin d’une enceinte où se déroulent des discussions mieux réfléchies qui tirent des leçons du passé.”

Tentatives échouées de l’alliance dominante

L’indépendance des experts de l’ONU

En 2006, onze pays étaient sous surveillance d’un rapporteur spécial de l’ONU, chargé d’enquêter sur le terrain à propos des violations des droits de l’homme : Myanmar, Cambodge, territoires palestiniens occupés par Israël, Somalie, Haïti, Cuba, Libéria, Belarus, Burundi, République populaire démocratique de Corée, République démocratique du Congo.

D’autre part, vingt-huit autres rapporteurs dits « thématiques », étaient chargés d’enquêter transversalement dans le monde sur des violations spécifiques, telles que les exécutions extrajudiciaires, la torture, les détentions arbitraires, la discrimination raciale, l’indépendance des juges et des avocats, les défenseurs des libertés.

Le bloc des pays africains et son cortège d’amis (pays de l’OCI et asiatiques, dont la Chine ainsi que Cuba et la Russie) ont œuvré pour affaiblir le rôle de ces rapporteurs, ce en arguant que l’EPU se chargeait désormais de passer au peigne fin les violations dans chaque pays. Or il y a une différence primordiale entre ces deux procédures : la teneur de l’EPU est hautement politique vu qu’il s’agit de l’examen d’un Etat par ses pairs. Alors que les rapporteurs spéciaux sont des experts indépendants, non rémunérés et nommés par le Haut Commissaire des droits de l’homme, échappant ainsi à la valse diplomatique.

L’alliance a donc imposé un code de conduite contraignant pour les rapporteurs spéciaux. Le projet compromettait gravement leur indépendance et leur liberté de s’exprimer devant la presse. Selon ce code de conduite, les pays se réservaient un droit de veto sur les sources d’information utilisées par les experts.

Les rapporteurs se sont alors fendus d’un manuel pour contrer l’instauration du code de conduite. « Derrière cet enjeu, il s’agit de savoir quelle vérité doit s’imposer : celle de l’Etat ou celle de l’ONU, qui est représentée par le rapporteur », interrogeait Louis Joinet. Le Français, alors doyen des experts de l’ONU, venu en 2008 défendre l’intégrité de la corporation, n’a pas hésité à illustrer ses propos par des exemples tirés de son propre vécu : « Quand j’ai dénoncé les emprisonnements abusifs et les persécutions de dictatures dans ces mêmes murs, on m’a accusé de plaider pour des terroristes. Or, trois de ces « subversifs » sont devenus présidents par la suite : Christos Sartzetakis en Grèce, Xanana Gusmäo au Timor et Jorge Sampaio au Portugal. Pour tous ces cas, je détenais la vérité, et non l’Etat. »

Au final, ce code de conduite, composé d’un arsenal d’intimidations, dont un mécanisme de sélection à tendance plus politisée des rapporteurs, n’a pas eu l’effet escompté. Pour exemple, il y a aujourd’hui 8 nouveaux rapporteurs par pays : Erythrée, Côte d’Ivoire, Belarusse, République centrafricaine, Iran, Mali, Syrie, Soudan.

Les droits de l’homme, otage des religions

Après le 11 septembre 2001, et dans le cadre de la traque aux terroristes accusés d’agir au nom de l’islam, une scission s’était créée au sein de l’ancienne Commission des droits de l’homme. Celle-ci n’a cessé de s’accroître dans le cadre du Conseil. Les pays islamiques, soutenus par la plupart des Etats africains, ont fait leur possible pour que l’islamophobie soit considérée comme une forme de diffamation religieuse.

De leur côté, l’Union Européenne et les pays latinos se sont farouchement opposés à ce qu’ils considéraient comme une « hiérarchisation dans le palmarès des religions persécutées », selon les termes d’un diplomate occidental.
Le projet de l’alliance était de créer un protocole dans la Convention contre la discrimination raciale, qui jouerait le rôle de tribunal destiné à défendre de manière détournée l’islam. Or un tel protocole violait un principe fondamental de la charte des droits de l’homme des Nations Unies qui ne défend pas des concepts mais des individus.

Après des années de lutte, la bataille contre la diffamation des religions a été perdue, mais les pays musulmans sont revenus, Egypte en tête, avec des résolutions sur la famille qui ne sont autre que des concepts rétrogrades concernant les relations hommes femmes.

Carole Vann et Juan Gasparini / InfoSud